De retour à Rio, après mon formidable séjour à Ilha Grande, je file directement à l’aéroport attraper mon vol pour Belem et l’île de Marajo : mes deux prochaines étapes dans le nord du pays, avant de crapahuter sur le fleuve Amazone entre Manaus et Santarem. 4h de vol plus tard, mon avion se pose sur la piste de l’aéroport de Belem vers 2h du matin. J’attrape un taxi pour finir la nuit au terminal de l’Hydrovaria d’où je prendrai le ferry de 5h pour Marajo et le petit port de Camara, l’une des quatre villes importantes, à l’est de l’ile et à environ 90 km de Belem.

Au moment d’embarquer, l’effervescence gagne les 300 passagers qui se ruent sur la passerelle, chargés comme des camions : cagettes remplies de provisions, valises, meubles, c’est un véritable déménagement ! Le bateau appareille avec le lever du soleil, atteint la baie de Guajará en quelques minutes puis s’enfonce dans les méandres du Río Tocantins.


Je commence à réaliser que je suis en Amazonie. Marajó, la plus grande île fluviale au monde, est cernée par le delta formé par les fleuves Amazone et Tocantins qui viennent se fondre dans l’océan atlantique. Je me sens cerné par la grande forêt, à perte de vue, tandis que les eaux ocres du fleuve fusionnent avec les îles vertes du delta. Et je prends la mesure du métissage indien de la population locale, 90% des voyageurs qui font la traversée en ma compagnie. Le dépaysement est absolu et je me sens super bien !

Tandis que je termine les dernières pages de L’Exposition Coloniale d’Erik Orsenna, le mythe de l’Amazonie et de l’âge d’or de son caoutchouc hantent mon esprit. Au milieu du 19e siècle, Belem n’était qu’une improbable bourgade perdue au fin fond de la Selva, au milieu de terres encore quasiment vierges, refuge de créoles sans fortune et d’aventuriers de tout poil. Si l’arrivée des premiers bateaux à vapeur en 1864 provoqua un début d’activité commerciale organisée, la région resta assoupie jusqu’au boom du caoutchouc qui se répandit sur l’Amazonie de 1885 à 1912. À l’époque, le développement de l’industrie automobile de masse en Europe et aux USA provoqua une énorme demande de caoutchouc, dont la production dépendait de la sève de l’hévéa, un arbre qui ne poussait qu’en Amazonie. Belem connut alors ( en même temps que sa rivale amazonienne Manaus) des années de folie et se développa à un rythme forcené. Des rues et de larges avenues pavées furent tracées au cordeau pour remplacer les pistes boueuses. Des fortunes colossales se constituèrent du jour au lendemain.

Mais la fièvre du caoutchouc se fit sur le dos des Indiens, contraints d’aller recueillir le latex dans la forêt vierge, dans des conditions de travail et de survie épouvantables. Ils payèrent de leur vie la production colossale de caoutchouc, et la population de la région passa de 100 000 à 20 000 Indiens pendant la décade 1900-1910. Bien que la justice ait été saisie, aucun procès n’eut jamais lieu. Et puis, à la veille de la Grande Guerre en Europe, l’âge d’or du caoutchouc en Amazonie n’était déjà plus qu’un souvenir. En effet, toutes les tentatives de plantation de l’arbre à caoutchouc avaient échoué au Brésil. Il se disait alors que l’âme brésilienne ne supportait pas d’être domestiquée par les puissances étrangères. Les Anglais commencèrent alors à exporter les graines d’hévéas brésiliennes à Singapour et à Ceylan, et le développement des plantations de l’arbre à caoutchouc en Extrême-Orient porta un coup fatal à l’expansion de Manaus et de Belem qui subirent dans les années 1920 une vertigineuse dégringolade économique, et tombèrent dans une longue somnolence. Et la lente vie du fleuve reprit le dessus, jusqu’à l’arrivée d’un nouveau boom, celui du pétrole, à partir des années 1960.

Nous accostons 3 heures plus tard au petit port de Foz do Camará où de nombreux vans attendent de pied ferme les voyageurs. Visiblement, trois destinations indiquées sur le pare-brise sont possibles : Souré, Salvaterra et Joanes. Je monte dans un bus qui fait le trajet direct pour Souré, via la petite ville de Salvaterra (17 kms). En route, une charmante jeune femme me demande le nom de ma pousada, et je comprends alors que le bus va me déposer directement à la Fazenda Araruna, mon point de chute sur Souré.

A Salvaterra, nous prenons le bac qui traverse le rio Paracauari pour rejoindre la petite bourgade de Soure, la capitale de Marajo et le van me dépose royalement à la fazenda.

La Fazenda Araruna abrite la pousada Maruanases qui dispose de 4 chambres ultra-propres (50/70 R$, en occupation simple/double, café da manha inclus). Sa propriétaire, Amelha Barbosa, propose également de nombreuses activités comme la location de bicyclette (5 R$/jour) fortement conseillée, la randonnée à cheval avec guide (30 R$/2 heures), la remontée d’un igarapé en canot avec guide (30 R$/2 heures).

Par chance, je dispose de la ferme pour moi tout seul ! Ce vaste ranch d’élevage exploite un immense territoire de prairies où paissent une armée de buffles et quelques chevaux. J’ai l’impression de me retrouver dans une manade en Camargue ! Mais avec les perroquets, les palmiers Pinot et les hévéas en plus.


La viande de buffle, maigre et tendre, est excellente pour la santé (une teneur en cholestérol deux fois moins importante que le bœuf) mais elle se vend malheureusement de moins en moins cher. D’où l’impérieuse nécessité pour les fermiers du coin de diversifier leurs activités à la réception des quelques touristes qui passent par ici.



D’entrée de jeu, je me suis fait trois potes, des magnifiques aras qui ont élu domicile dans les arbres de la cour centrale.






L’endroit est idéal pour rayonner à pieds dans le village, ou à vélo pour les moins courageux…



La température monte très vite après 10h et je renonce à parcourir le village à pieds sous cette chaleur accablante. Je loue un VTT à la fazenda et me voilà parti dans les rues bordées de manguiers où j’assiste à des scènes insolites: des zébus devant l’entrée des maisons. Et je m’aperçois qu’ils sont partout dans le village.

Dans ce monde à part vivent 300 000 habitants et 400 000 buffles ! Le 4X4 local comme s’en amusent les gens d’ici qui racontent que les buffles de Marajo descendent de bovins rescapés, arrivés à la nage après le naufrage d’un navire français se dirigeant vers la Guyane. L’animal croisé avec le zébu est devenu l’emblème de l’île, qui possède même une police montée unique au monde. Quand la saison des pluies inonde la moitié de l’ile, ils deviennent indispensables aux habitants pour se déplacer et assurer le quotidien.


La mangrove est omniprésente à Souré et au détour d’un igarapé (nom indien désignant un chemin d’eau), il n’est pas rare de voir apparaître une maison en bois sur pilotis. À la saison des pluies, de janvier à juin, les plaines de Marajó sont inondées sous un mètre d’eau et se transforment en marécages. Une sorte d’immense Camargue qui accueille alors de nombreux oiseaux migrateurs venus d’Amérique du Nord se ravitailler dans ses eaux peu profondes.

A partir de 16h, le village se réveille et les rues commencent à s’animer, des enfants jouent au bord de la piste de terre, des jeunes gens se retrouvent dans des petites gargotes pour siroter un suco de guarana ou une brama au son d’une musique forte. Pas de doute, la jeunesse est reine à Marajo.







En traversant le domaine Arurena, on aboutit à une magnifique plage, bordée de mangroves. Des barracas vous y attendent pour siroter une cervejinha.













Marajó signifie le « bouclier de l’océan » en langue amérindienne. L’histoire dit que les dieux l’ont placée à l’entrée de l’Amazone pour protéger le fleuve des caprices de la mer. Elle était autrefois habitée par les Indiens Marajoara, une civilisation mystérieuse originaire du Pérou et à la réputation terrifiante. Leurs ennemis les avaient baptisés « Nheengaiba », « ceux qui parlent laid ».




Le soir à la fazenda, je me délecte d’un succulent rôti de buffle à l’ananas, d’une purée de potirons, de farine de manioc et d’une crème d’avocat au lait de bufflonne. Toute la gastronomie de l’île repose sur la viande de buffle mais aussi sur les poissons et les mollusques. J’ai particulièrement apprécié ce midi les crevettes rosées pour accompagner mes caipirinhas.

Préservée du tourisme de masse, Marajo m’offre une vision inédite de l’Amazonie, une place paisible et attachante que j’ai vraiment apprécié depuis le village de Soure, presque seul au monde.

De retour à Belem, après mon formidable séjour à Souré, je vais me perdre dans le dédale de ses ruelles colorées.







J’ai particulièrement aimé arpenter le fabuleux marché Ver-O-Peso, ses étals de fruits et légumes exotiques (ananas, papaye, bacuri, cupuaçu, uxi, tapereba, açai, pupunha…) entre poissons gigantesques déchargés sur le port, cochons noirs hurlants sur des charrettes, et autres paniers de crabes vivants.








Ce qui fait la singularité de ce marché, c’est surtout son espace dédié à toutes les potions et remèdes de la création, depuis les infusions pour résoudre un simple mal de tête jusqu’aux fioles (garrafadas) contenant des décoctions d’écorces d’arbres ou de plantes ou encore de parties d’animaux utilisées dans la médecine locale, et qui vous promettent de régler des problèmes médicaux divers ou de vous apporter une énergie naturelle (arthrose, articulations, viagra naturel…).



J’ai ressenti l’identité de Belem sur le marché Ver-O-Peso, à la tombée de la nuit, au moment où tous les petits bars-restos se remplissent et s’animent au bord du fleuve, au son de la musique de Chico Malta, des tables garnies d’assiettes de crevettes, des bouteilles de 600 ml de « Brama » et des verres de « caipi ».




De Belem, il est possible de remonter le fleuve Amazone jusqu’à Manaus via Santarem. Mais pour avaler les 1 700 kilomètres de navigation, le bateau met sept jours pour atteindre Manaus (cinq dans l’autre sens). Par commodité, j’ai opté pour l’avion qui rallie Manaus en 2h. Départ demain matin pour une nouvelle aventure dans une autre Amazonie.