J’irai dormir sur l’Amazone

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De retour à Manaus, après notre formidable séjour au Manati Lodge, nous profitons du calme de l’hôtel Lord Manaus avant d’affronter la foule et le bourdonnement de l’embarquement pour Santarem.

Dans quelques heures, nous nous lançons dans la descente mythique de l’Amazone, le plus grand fleuve de la planète, à bord du San Bartolomeu III qui fait la liaison tous les mardis entre Manaus et Santarem. La croisière va durer environ 30 heures, le temps de passer une nuit à bord.

Sur les quais, nous prenons la mesure de ce que le bateau est roi en Amazonie. Le spectacle est saisissant ! Comment ne pas admirer ces superbes embarcations en bois avec leur coque rebondie et leurs ponts incurvés, typiques du bassin amazonien. Leurs sympathiques silhouettes font partie du paysage. Elles constituent le mode de transport naturellement privilégié par la population, tant pour les marchandises que pour les passagers. Il existe bien quelques routes et pistes pour parcourir l’enchevêtrement végétal de la plus grande forêt du monde, mais les chemins les plus évidents sont indéniablement les nombreux cours d’eau, parfois de la taille d’un océan et sans horizon.

Vers 10h, nous embarquons dans une ambiance de dingues ! le navire n’est pas de toute première jeunesse mais c’est ça l’Aventure ! Le quai grouille de familles entières et bigarrées qui se ruent sur la passerelle, chargées comme des camions : valises bourrées, cagettes remplies de provisions…Sur les deux ponts intermédiaires, les voyageurs s’activent à monter leurs hamacs dans un brouah de ruche.

Nous traversons une hallucinante marée humaine de hamacs, alignés les uns à côté des autres comme des sardines, et nous prenons la mesure de la population locale qui vit au rythme de la langueur du fleuve.

Enivrés par cette profusion de couleurs et de senteurs inattendues, nous atteignons la camarote que j’avais réservée 4 jours plus tôt.

Il s’agit d’une petite cabine sans fenêtre avec 2 lits superposés et un coin douche+toilettes. Certes, c’est beaucoup plus cher que le hamac sur le pont, mais cette solution permet de dormir à l’abri du vent et de la pluie, de se balader sur les ponts en gardant ses affaires sous clés et au sec, et de ne pas faire la queue aux toilettes communes prévues pour 400 passagers !

Le bateau appareille à 14h, atteint rapidement la ligne de rencontre des eaux, puis s’enfonce dans les méandres du fleuve Amazone. Bizarrement, l’eau noire du Rio Negro ne se mélange pas avec l’eau ocre clair du Rio Solimoes.

Au fil de l’eau, nous voguons paisiblement sur nos rêves d’Amazonie, en oubliant toute notion du Temps. L’émotion est palpable. Les eaux ocre, d’argent ou d’émeraude serpentent au milieu du moutonnement verdoyant qui semble infini. Des maisons sur pilotis parsèment les berges, d’où se détachent parfois le clocher d’une église et la façade d’une petite école de campagne, ravitaillée en élèves par des bateaux-taxis. D’une rive à l’autre, mes yeux sont trop petits pour prendre la mesure de l’Amazone. Il m’apparaît comme un abîme qui a vaincu la terre et qui fait miroiter le ciel.

Calée à l’arrière du pont supérieur, d’où résonnent à grand bruit les décibels d’une sono à l’acoustique douteuse, nous trouvons notre bonheur : de la bière fraîche et des soupes préparées aux légumes. Mais nous fuyons très vite le vacarme de cette musique assourdissante, ravis de retrouver le calme de notre cabine à l’opposé du bateau.

A la tombée du jour, une première averse ventée vient rafraîchir l’atmosphère. Le spectacle est à couper le souffle ! Le ciel passe alors en quelques minutes du rose au violet en passant par tous les tons orange, et les rives tropicales deviennent des ombres qui se reflètent dans le fleuve noir.

Après une nuit confortable, je me lève avec le soleil pour admirer à nouveau cette explosion de couleurs matinales qui réveillent progressivement la grande forêt. Quel pied ! La journée passe et nous suivons le courant de ce fleuve si long, près de 6500 kilomètres, qui peut faire jusqu’à 40 kilomètres de large ! Inimaginable ! Les passagers, amassés dans leurs hamacs, tuent le temps à lire, à dormir, et à profiter bien sûr du paysage grandiose de jungle luxuriante qui défile sous leurs yeux. 

Le port de Santarem est en vue. Le navire franchit la curieuse ligne de rencontre des eaux marron clair et limoneuses de l’Amazone et de celles plus foncées de son affluent le Rio Tapajos. A 17h30, le San Bartolomeu III jette l’ancre dans le port de Santarem, sous une pluie fine.

Il fait encore une chaleur humide et étouffante. Et oui, nous sommes au cœur de l’Amazonie et proche de l’équateur. Un léger vent chaud balaie la mosaïque de baraques colorées aux façades décrépites et aux garde-corps rouillés de la ville portuaire

Réfugiés depuis quelques minutes dans une chambre climatisée de l’hôtel Encontro das Aguas, nous jouissons d’une superbe vue sur la promenade Nova Orla Fluvial, la “Riviéra” locale, et sur le fleuve Tapajos. Nous entendons encore les dernières lanchas et autres bateaux de croisière déverser leurs lots de voyageurs sur les quais dans un brouhaha de carnaval !

Au-dessus de leurs têtes, un ballet incessant d’urubus affamés anime le ciel, paré à cette heure avancée d’un dégradé de couleurs pourpre et orange. Le soir venu, les vautours seront remplacés par des chauves-souris, friandes des grands papillons bleus qui tourbillonnent autour des lampadaires.

A la tombée de la nuit, la promenade se vide progressivement. Dans ce décor irréel, j’aperçois au loin un paysage de troncs de bois d’ipé, de maçaranduba et autres essences tropicales qui s’amoncellent sur d’immenses barges. Leur exploitation représente 70 % de l’économie locale. Et puis, au milieu des quais, trône l’immense usine de la Cargill qui me rappelle les affres de la déforestation amazonienne. En effet, Santarém est devenue en quelques années un port majeur d’exportation du soja brésilien, à grands coups de corruption des élus locaux et fédéraux parait-il. Au cours d’une seule  année, la compagnie américaine abattrait 80000 hectares de forêt pour planter son soja ! Ce qui peut expliquer que 17% de la forêt amazonienne a disparu en 40 ans !

Il est temps maintenant de se reposer. De nouvelles aventures nous attendent demain du côté de Alter do Chao, avec son décor “caraïbes d’eau douce” et ses plages de sable blanc au bord du fleuve Tapajos. Un magnifique programme en perspective 🙂