Les vieilles pierres d’Angkor

Blog Cambodge

Siem Reap, “ Sim Rip”, pour les intimes, est une petite ville de campagne, aux portes des temples d’Angkor. Son nom signifie littéralement  “le Siam écrasé”, eu égard aux rivalités ancestrales que les Khmers ont entretenues avec leurs voisins Thaïs. Ces deux syllabes d’Angkor résonnent dans ma tête comme une épopée romanesque d’un peuple raffiné et guerrier, qui rayonna dès le VIIIème siècle sur toute l’Asie du sud-est. 

Nous débarquons ainsi en famille, en provenance de Bangkok, pour visiter durant quelques jours les vieilles pierres d’Angkor. Une douce parenthèse cambodgienne au milieu de notre périple en Thaïlande.

Siem Reap dévoile le charme désuet de ses anciennes maisons de négoce françaises, de type provençal, et de sa cohorte de boutiques et de restaurants aux couleurs chatoyantes et décorées avec goût. J’ai été séduit par l’effervescence contenue de ses rues arborées, investies par des hordes de tuk-tuk rutilants et pétaradants. Le must ici est de déambuler dans le pittoresque marché de nuit, en se laissant tenter par une recette de crocodile ou de serpent.

Pendant quatre siècles, les rois khmers, autoproclamés « Dieux-Rois », firent construire des dizaines de temples d’un faste inégalé, dont le plus prestigieux, Angkor Vat, reste encore aujourd’hui le plus vaste édifice religieux jamais construit.

Une petite pluie fine s’empare de la mythique Angkor Vat, l’ancienne capitale de l’empire khmer et la perle du Cambodge. Elle s’étendait jadis sur près de 3000 km2. A l’époque, elle constituait le plus grand développement urbain de l’ère préindustrielle, reléguant loin derrière les cités Mayas comme celle de Tikal au Guatemala. Devant la grande passerelle qui traverse la douve pour atteindre l’entrée principale, je m’aperçois que nous ne sommes pas les seuls à être si matinaux.

Dans une atmosphère brumeuse et humide, qui renforce le côté mystique du lieu, nous déambulons le long des magnifiques bas-reliefs. Ils constituent un formidable livre-ouvert sur l’histoire de cette cité-sanctuaire, qui aurait accueilli le mausolée de son roi fondateur Suryavarman II. 

Au milieu des vieilles pierres, je me laisse séduire par la beauté mélanésienne de ces danseuses célestes sculptées avec grâce sur les murs de la cité. Ces fameuses nymphes charmeuses « qui glissent sur l’eau », aux parures  fines et clinquantes: les Apsaras. Elles ont les seins nus et des formes voluptueuses suggérées par un drapé de tissu fin. Plus de 2000 d’entre-elles hantent les murs d’Angkor Vat. Elles seraient nées du mythe fondateur hindouiste du « barattage de la mer de lait ». Les dieux qui étaient jadis mortels décidèrent d’unir leurs forces à celles des démons « Asura » afin d’extraire la liqueur d’immortalité, « l’Amrita ».  Au prix de nombreux efforts, le barattage du lait produisit des êtres merveilleux dont les Apsaras, considérées comme des demi-déesses.

Dédiée à l’origine à la divinité Vishnou, la cité des dieux est une représentation symbolique de la cosmologie hindoue. L’immense temple principal symbolise le mont Meru (montagne mythique considérée comme l’axe du monde ), tandis que les grands murs de pierres et les fossés représentent les chaînes de montagnes et l’océan cosmique dans la mythologie hindoue.

Le sourire d’Angkor Thom

Angkor Thom est l’ancienne grande cité royale. Sur la passerelle de la porte sud, 54 démons affrontent 54 dieux pour extraire le nectar de la mer de lait, et nous plongent d’emblée dans l’histoire de la civilisation khmère. Tandis que je réfléchis à ce vieux mythe fondateur hindou, une sensation étrange trouble mon esprit. Je me sens épié ! Je lève la tête et j’aperçois les “guetteurs indiscrets”, ou plutôt les visages imposants, finement sculptés au sommet de la tour.

Ils arborent fièrement un sourire, aussi énigmatique que bienveillant. Chaque visage symbolise une vertu du Bouddha et donne la direction des quatre points cardinaux. Nous suivons la petite piste de terre qui s’insinue dans la forêt pour nous mener au magnifique temple-montagne du Bayon du centre de la cité royale. 

J’y retrouve les Visages khmers en surnombre. Ils ont levé une armée de 216 visages sculptés aux sommets des 54 tours somptueuses.  Ce concert de sourires est enivrant et j’exulte dans ce labyrinthe de pierres mystiques.

Nous défions les escaliers escarpés et nous évertuons à nous perdre dans les couloirs voûtés. Les étages inférieurs du Bayon sont investis par les dieux Khmers hindouistes et bouddhistes. La partie supérieure est dédiée à Bouddha. Je suis à l’affût des bas-reliefs témoignant des fastes de la cité des rois, guidé par les explications éclairées de Sam, notre guide. En effet, le Bayon abrite plus de 1000 mètres de bas-reliefs superbes, relatant l’histoire des combats entre les Khmers et les Chams.

En chemin pour Ta Prohm, une autre merveille d’Angkor, Sam nous raconte la légende du premier cambodgien, qui serait né de l’union d’un ermite du nom de Kambu, avec une nymphe céleste du nom de Méra qu’il aurait reçue en mariage du dieu SHIVA. Et je me dis que si le peuple autochtone khmer est bien d’origine hindouiste et bouddhiste, il s’est enrichi au fil des siècles d’influences chinoise, indienne et javanaise. Et je repense aux invasions répétées des pays voisins, qui provoquèrent jadis le déclin de la cité d’Angkor, qui fut rendue à la jungle et se fit oublier.

Ta Prohm est une cité antique, enfouie dans la jungle, où il règne une atmosphère  irréelle. Les vestiges de ce royaume sont investis par des racines géantes de fromagers et de ficus.

Les arbres semblent couler du ciel, tellement ils dégoulinent sur les gopuras.

Je ne suis pas surpris qu’il ait servi de décor de cinéma dans de nombreux films de sciences fictions, dont le plus célèbre Tomb Raider et son héroïne Lara Croft (tourné au début des années 2000). 

L’étreinte des vieilles pierres et de ces monstres végétaux reste mon gros coup de cœur d’Angkor, avec le Bayon.

La route pour Kbal Spean nous donne l’occasion de traverser des paysages typiques de la campagne cambodgienne, dans un décor bucolique de belles rizières verdoyantes, de forêts de palmiers à sucre, et bien sûr de villages pittoresques très animés.

Le site archéologique de Kbal Spean se dévoile le long d’un sentier balisé d’environ 1,5 km dans la forêt tropicale, au pied de la montagne sacrée de Phnom Kulen. Ce haut lieu de pèlerinage dédié à Shiva continue d’exercer de nos jours une attraction mystique sans égale dans tout le pays. Les cambodgiens en font l’ascension pour se recueillir auprès de la statue du Bouddha couché, avant de se rafraîchir dans la cascade toute proche. 

Nous atteignons, au bout de 45 min de montée dans la jungle, le pont de bois et la rivière sacrée, dont le lit de grès a été savamment sculpté de lingas et d’autres divinités de la mythologie hindoue, dédiées à Shiva. Ces lingas, qui datent du XIIIème siècle, servaient à bénir les eaux avant qu’elles n’atteignent la cité royale, jadis établie non loin du site.

Et même si la rivière aux mille lingas a été pillée de ses sculptures ces dernières années, il y règne une atmosphère particulière qui invite à la méditation.

En revenant de Kbal Spean, nous marquons un stop au temple des femmes de Banteay Srei.

Banteay Srei est un petit bijou de grès rose finement ciselé, dédié aux femmes. Il nous plonge dans la mythologie indienne, illustrée notamment par de nombreuses représentations de Vishnu, sculptées sur les frontons de briques et de latérite.

Sam nous apprend que l’organisme étatique APSARA (sigle donné en clin d’œil à l’instance publique de l’Autorité pour la Protection du Site et l’Aménagement de la Région d’Angkor) a créé un éco-village ici à Banteay Srei, où des paysans exploitent des rizières et sont logés gratuitement pendant trois ans. En échange, ils jardinent et entretiennent les temples, et ils peuvent vendre des produits artisanaux. APSARA piloterait actuellement une trentaine de missions, et ferait travailler 3000 employés à la conservation et à la restauration des 568 sites archéologiques d’Angkor.

Ce matin, départ pour Kampong Phluk, un village pittoresque de maisons sur pilotis construites dans la plaine inondable du lac Tonlé Sap, à environ 16 km au sud-est de Siem Reap.

En cette période de saison sèche, le lac est à son plus faible niveau d’eau et les maisons semblent planer au-dessus de leurs pilotis (qui peuvent mesurer jusqu’à 8 mètres de haut ). Et lorsque la saison des pluies revient, le niveau de l’eau remonte jusqu’à la terrasse des maisons. Les pilotis sont alors engloutis par les eaux. Incroyable, non ? 

En fait, le Tonlé Sap présente un phénomène hydrologique unique au monde. A la saison des pluies, sous les effets de la fonte des neiges et du ruissellement des pluies de mousson, le gonflement du Mékong multiplie par cinq la surface du Tonle Sap, inondant au passage toute la plaine boisée du coin et générant ainsi un écosystème extraordinairement riche. Et c’est l’homme qui s’adapte à la nature, et pas l’inverse…

Lors d’un autre voyage, je suis allé passer trois jours à Phnom Penh =) voir l’article.